Les toiles de mer
Depuis le point de vue surélevé du remblai des Sables d’Olonne, il n’est pas rare d’apercevoir un homme, légèrement vouté sur son outil, tracer des courbes et des volutes sur le sable de la grande plage. Lui, c’est Zarpō, créateur d’oeuvres monumentales qu’il signe à la pointe de son râteau. Surnommé « le Jardinier de la Plage », il utilise cette longue bande de sable fin comme la toile géante, support d’un art éphémère. Rencontre avec un homme singulier, dont l’art dialogue avec l’espace public autant qu’avec ses spectateurs, dans les pages des Sables d’Olonne Magazine n°27.

Land art
Avant de devenir une figure locale emblématique, Zarpō, aujourd’hui cinquantenaire, a bourlingué et s’est enrichi d’expériences et de cultures. S’il est né en France et a vécu une décennie à Paris, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’il a muri sa pratique artistique. « Après avoir passé un peu de temps sur la côte est des États-Unis, j’ai vécu six ans à Los Angeles, à Venice Beach, entre 2008 et 2014. Là, j’y ai découvert la culture japonaise mêlée à l’esthétique californienne. Cette rencontre m’a profondément marqué », confie-t-il. Fasciné par la calligraphie, l’architecture et l’harmonie des formes, il s’inspire des concepts du Levant, pratique la photographie, et lance des ponts entre elle et l’exercice du tir à l’arc, qui nécessite « l’alignement de l’oeil, du coeur, de l’esprit. » Des mots qu’il emprunte à Henri Cartier-Bresson, l’une de ses influences d’alors. Pourtant, dans le désert californien, la photographie le frustre. La pellicule 24×36 et le grand angle ne suffisent pas à « fixer l’immensité du spectacle de la nature » qui se joue sous son regard, là où la peinture de David Hockney, qui le fascine, y parvient. Zarpō entame sa mue.

De retour en France, il assiste à la projection du documentaire Rivers and Tides, qui explore la relation de l’artiste Andy Goldsworthy avec la nature à travers son processus créatif. Adepte du Land Art, une discipline qui vise à utiliser les éléments naturels pour créer des oeuvres en plein air, Goldsworthy façonne ses oeuvres avec des pierres, du bois ou des feuilles mortes. Des créations in-situ, éphémères par définition, puisque soumises aux aléas du temps et du climat. Pour Zarpō, c’est une épiphanie. Débarqué un peu plus tard sur les plages de Vendée, il trouve là le terrain d’expression qu’il attendait. Alors, nourri de la confluence des arts qui le passionnent, il s’arme d’un râteau et s’approprie ces espaces mouvants pour y tracer des oeuvres aussi gigantesques que fugaces.

Interactions
Zarpō ne se contente pas de dessiner sur le sable ; il invite les spectateurs à une expérience immersive et interactive. « Quand je crée, les gens qui passent posent des questions, s’interrogent sur le sens du dessin. C’est un échange constant », explique-t-il. D’ailleurs, pour l’artiste, créer a avant tout du sens à travers le regard de l’autre. Il poursuit : « ce qui se passe avec le public alimente énormément ce que je fais, que ce soit avant, pendant ou après la création. »


Ses dessins non figuratifs – « arabesques, spirales, volutes » ou formes inspirées de la nature – s’intègrent pour un instant au paysage balnéaire, et soffrent au regard des promeneurs ou des usagers de la plage, souvent interloqués. « J’aime que mes oeuvres piquent la curiosité sans imposer une interprétation unique. Les courbes fonctionnent comme celles d’un arbre : on peut tourner autour sans jamais épuiser leur mystère ni se contenter d’un point de vue unique. »

Pour autant, Zarpō ne se limite pas à une pratique abstraite de son art, mais offre aussi ses coups de râteau à autrui, à celles et ceux qui souhaitent faire passer un message. Souvent, il crée une fresque « pour des événements privés, pour une demande en mariage ou un anniversaire. » Il s’engage, aussi, et ses oeuvres deviennent un vecteur d’hommage ou de soutien à ceux dont la vie est frappée par un drame. « Ce genre d’initiatives crée un lien fort avec les familles touchées. Quand je traverse des moments de doute, ces rencontres me rappellent pourquoi je crée. L’art est un moyen puissant de connecter les gens et d’évoquer des émotions universelles. »

Ascèce
S’il fonctionne à l’émotion, créer sur le sable est pour Zarpō un acte physique autant que spirituel. Il compare d’ailleurs son travail à une forme de méditation active proche de l’ascèse : « le râteau devient une extension de moi-même, et dessiner dans le sable est une sorte de danse où je perds conscience de l’espace et du temps. » Mais avant de s’échiner des heures durant, « grillé par le soleil », l’artiste est à l’affut des conditions qui rendront sa toile idéale à la création. Il guête la météo, bien-sûr, mais aussi le vent, les horaires et les coefficients des marées : « la qualité du sable est primordiale. Il doit être suffisamment ferme, légèrement humide mais pas trop, sans quoi cela peut compliquer la réalisation », explique-t-il.

Ses outils sont simples : différents râteaux pour varier les largeurs de traits, parfois complétés par un cordeau « pour dessiner des cercles parfaits ou des rosaces. » Son plus grand râteau, il l’a fabriqué lui-même. « Il fait 2,16 mètres de large, et grâce à lui je peux tracer des traits monumentaux », s’enthousiasme-t-il.

Éphémère
Mais ce qui rend l’art de Zarpō si spécial n’est pas son gigantisme – qui peut atteindre « jusqu’à la taille d’un terrain de tennis. » C’est plutôt sa nature éphémère, puisque chaque dessin est voué à disparaître sous les vagues de la marée suivante. Pourtant, cette fragilité n’est pas une source de frustration : « le dessin a son temps. Cela fait partie du processus », affirme-t-il. Le provisoire, au coeur de sa démarche artistique, confère ainsi à ses créations l’intensité particulière d’un bref moment de contemplation, d’une ode au présent. Une manière de (se) rappeler que rien n’est permanent ?


Portrait 10 Arts
Si vous étiez…
une oeuvre d’architecture :
Le Mont Saint-Michel
une sculpture :
David, de Michel-Ange
une peinture :
La Nuit Etoilée, de Vincent VanGgogh
une chanson :
Emmenez-moi au bout de la terre, de Charles Aznavour
un livre :
Les Fables de La Fontaine, illustrées par Gustave Doré
une pièce de théâtre :
Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand
un film :
Un Singe en Hiver, d’Henri Verneuil
une photographie :
Derrière la gare Saint-Lazare, d’Henri Cartier-Bresson, où l’on voit un homme sauter au dessus d’une flaque d’eau
une bande dessinée :
Tintin, l’Ile Mystérieuse
un jeu vidéo :
Question difficile, étant donné que mon expérience dans le domaine se limite à Tetris !

lejardinierdelaplage@gmail.com
Tél : 06 09 55 14 82
Instagram : @le_jardinier_de_la_plage
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